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mardi 26 février 2013

Berlioz, enfant de La Côte-Saint-André (Isère) - 2


Pour lire ou relire, le début de cette promenade, cliquez sur les mots bleus : Berlioz, enfant de La Côte-Saint-André - 1

Berlioz, écrivain de sa musique

[...]
Du reste, voilà que le malentendu s’aggrave. « Deux mains pour un seul homme », une baguette de chef d’orchestre et une plume d’écrivain, et le public ne se passionne-t-il pas pour l’écrivain ! Une certaine postérité ne clame-t-elle pas que la place de Berlioz n’est pas à l’Institut mais à l’Académie Française !

Le malentendu se transporte au sein de la musique elle-même. Il paraît que Berlioz n’est pas musicien, mais qu’il emploie en musique les procédés de la littérature. Écrivain musical ! Voilà de quoi défrayer les chroniques académiques ! Et cette fois, au lieu de caricatures, je me heurtai à un cliquetis de formules lapidaires qui voulaient se donner pour définitives.

« Quel bonheur que ce garçon-là ne sache pas la musique ! » déclarait Rossini. « Il en ferait de bien mauvaise. Car il est tout ce qu’on voudra : poète, rêveur idéal, homme de talent, de recherche et parfois d’invention dans certaines combinaisons, mais jamais musicien ».

Gustave Planche, à son tour, était catégorique : « Le musicien ne doit pas se mettre au service du poète… Si, de nos jours, il s’est rencontré quelques esprits enthousiastes et inexpérimentés qui ont voulu écrire dans l’orchestre le journal de leurs impressions, il faut les plaindre et les blâmer ».

Encore plus surprenant, sans doute, ce jugement de Michel Guiomar, de nos jours, qui affirme tout le contraire de ses prédécesseurs en critique, et déclare que la littérature est un masque, moins qu’un prétexte, mais une gêne pour aborder l’écoute de ce qu’il prétend être une musique pure – n’a-t-il jamais songé que l’on se faisait souvent un visage avec un masque ? Et dans ce domaine du déguisement, Berlioz est un maître. Ne prenons pas un masque pour un accessoire frivole, un moyen d’occulter la personnalité. Chez ce romantique insatiable, les héros sortent des pages d’un livre pour s’incarner en lui. Le roman, le conte, le poème, proposent un modèle. Et Berlioz l’essaie, quitte à s’en défaire ensuite. Il a d’abord le visage d’un promeneur solitaire, comme Rousseau le lui a enseigné, puis il emprunte les traits du René de Chateaubriand, avant de se donner la figure triste et passionnée de Werther. Puis il se compose la face de Faust. Le tout avec sincérité, chaque nouvelle incarnation étant un don total. Si la musique de Berlioz se met le masque de la littérature, avouons que ce masque est tenace, et qu’il colle à sa peau.
Mais peu soucieuse de tracer une caricature de plus dans le répertoire iconographique, et ne désirant pas davantage un débat général qui n’aurait été que stérile, il me sembla que pour démêler le problème, mieux valait s’enfermer avec Berlioz. Ce fut ma méthode : le questionner inlassablement. Tenter de retrouver sa formation intellectuelle, et la refaire avec lui, et la prendre comme genèse de son œuvre.     

J’avais envie d’écouter « la Symphonie Fantastique » différemment – cette fameuse « musique pure » (pour certains, comme si la musique à programme était impure !)  Berlioz écrivain, et, à côté, Berlioz musicien, cela ne me plaisait guère. Ce qui me tentait, c’était Berlioz écrivain de sa musique.  

Robert Schumann avait bien imprimé à propos de cette « Symphonie Fantastique » : « Je me représente les auditeurs suivant la symphonie, programme à la main, et applaudissant leur compatriote pour avoir tout si bien rendu ».
Mais Liszt avait rétorqué : « Il n’est pas inutile, il n’est surtout pas ridicule, comme on se plaît à le répéter, que le compositeur donne en quelques lignes l’esquisse psychique de son œuvre, qu’il dise ce qu’il a voulu faire, et que, sans entrer dans des explications puériles, dans de minutieux détails, il exprime l’idée fondamentale de sa composition (…) De cette façon, (la critique) éviterait une foule de traductions erronées, de conjectures hasardées, d’oiseuses paraphrases d’une intention que le musicien n’a jamais eue ».

Voilà ce qui m’incitait à me pencher sur le programme de « la Fantastique », car j’étais choquée de le voir, le plus souvent, tronqué, paraphrasé, minimisé. Ce n’est pas un paradoxe d’affirmer que cette « Symphonie Fantastique » est la plus méconnue des œuvres de Berlioz ! Masque que ce programme ? Le compositeur ne voulait pourtant pas s’en passer.

Pendant la nuit du Carnaval de 1829, Hector Berlioz, penché sur une lettre à un ami, exhalait sa douleur : un amour impossible, une immense composition instrumentale qui fermentait en lui mais ne voyait pas le jour. Il était loin de l’aube salvatrice de la création accomplie. Et dehors, cinglant l’espace, passait la foule grotesque, bafouant son chagrin et son silence solitaire, cette foule costumée, masquée, paradant.
Lui, seul et pensif, en marge du carnaval dérisoire… Le jeu du masque, ce cache de la vie, c’était à côté, le rire d’une nuit, forcé, superficiel. Berlioz, Narcisse romantique aux multiples visages, cherchait son âme et son art, essayait le « masque » de la littérature pour ne plus le quitter, plus sincère en cela que tant d’hommes dont le visage découvert et plat ne révèle ni l’humanité, ni la passion, ni la vie.

Par Monique Clavaud. Avant-propos de sa thèse "Hector Berlioz, visages d'un masque. Littérature et musique dans la Symphonie fantastique et sa suite."

Toute personne intéressée par cet ouvrage peut se signaler en laissant un commentaire sur ce blog.

lundi 25 février 2013

Virée à Saint-Etienne

Le réveil de la cité, qui était encore, à l’époque de notre récit, la huitième ville de France avec plus de 200 000 habitants aurait dû être marqué dans les annales locales en ce début de journée qui allait être le théâtre d’un événement important aussi lourd de conséquences que difficile à imaginer. Mais n’anticipons pas. Les tramways circulaient depuis plus de deux heures dans la grande rue. Cette artère principale de la ville, rectiligne et orientée quasiment nord-sud sur une longueur de sept kilomètres, ne relie pas tout à fait Dunkerque à Tamanraset mais plus modestement le quartier de la Terrasse à celui de Bellevue.
Lorsque la lumière sale de cette douteuse aurore commençait de dégager les immeubles de leur gangue d’ombre, le Guisay était encore noyé dans le brouillard, tandis que les collines ceinturant la ville laissaient progressivement apparaître leur faîte. À cette heure, les transports en commun étaient pleins à craquer. Ils ne suffisaient pas, tant s’en faut, le matin à huit heures comme le soir à dix huit heures, à transporter toute la population laborieuse qui se rendait au travail en horaire normal. Une partie d’entre elle utilisait qui le vélo - noblesse oblige dans la capitale du cycle - qui même la moto. Il faut noter ici qu’une partie des ouvriers, notamment dans les mines et dans l’industrie lourde, tournaient en trois huit de façon à assurer la continuité de la production... et à étaler les pointes dans les transports en commun.
[…] Elle était affublée de tout le faux chic caractérisant les filles de condition modeste qui veulent paraître et arriver. Elle incarnait le type parfait de la femme qui se croit belle et intelligente et qui n’est en réalité que rusée et préfabriquée par les sollicitations bassement flatteuses de la mode. Brune et de taille légèrement inférieure à la moyenne, elle était dotée d’un visage sans grâce ne reflétant que le mécontentement de ceux qui ne se croient pas appréciés à leur juste valeur. Au physique, elle semblait faire beaucoup de cas d’une rondeur un peu forte pour sa taille, rondeur qui la situait dans le genre boudin légèrement amélioré. Ses bijoux, aussi nombreux que voyants, étaient manifestement en toc. Le port du plaqué or conduirait-il à être plaqué par les hommes ? Ses chaussures à hauts talons qui n’arrivaient pas à la grandir au niveau qu’elle escomptait, lui donnaient une démarche particulière où se confondaient son passé et son présent : elle se déplaçait mi-agricole, mi- mondaine. Elle serrait à la limite de l’étouffement une taille qui se refusait obstinément à rentrer dans la normale. Elle s’arrosait abondamment d’un parfum aussi capiteux que bon marché, décimant ainsi autour de sa personne la gent insecticide sur un rayon de cinq mètres.

Par Félix Garonnaire.
Extrait de Qui a assassiné le maire de Saint-Etienne ?

samedi 23 février 2013

Un regard



Ville

Tours misogynes
Sur fond de ciel bleu
Filets de voix
Qui s’éteignent en un râle

Partout
Le bitume dans l’espace
Le pétrole sur l’asphalte
Poissons gris et jaunes
Marchant frêles
Sur le toit des immeubles

La ville pleure des tramways
Et vomit des gaz d’échappement
Tandis que les julots casse-croûte investissent des hôtels borgnes

Les bulding-verres-ivoires recrachent à leurs pieds leurs salariés fumeurs 
Serial clopeurs patibulaires et désenchantés

Dans la gare Part-Dieu, Simone Hérault diffuse le message suivant :
« La mendicité est un acte répréhensible. Merci de ne pas l’encourager »

Colère
Révolte
Rage monte en moi

Je pense « la connerie est un acte répréhensible. Merci de ne pas l’encourager »

Je pense « le racisme et la discrimination quels qu’ils soient sont des actes répréhensibles et vous l’encouragez »

HURLER

La stigmatisation des pauvres comme nouvel étendard de la patrie pathétique 
Leitmotiv écœurant et toxique
Placardés sur les façades d’un hexagone malade-chronique

Circulez y a rien à voir mais tout à observer

Bouche de métro qui n’en finit plus de manger son quota de moutons dociles et apeurés
Petits bonshommes tranxenisés circulant au pas des crabes vers un océan-magma  sale et désaffecté

Décharge humaine électrique et contaminée
Pieuvre tentaculaire qui serpente
Grignote d’abord
Puis avale
Goulue et avide

Vouivre maniaque qui enfante des fratries complices de dégénérés
Parfaitement identifiables
Identifiées
Programmées

Bienvenue en terre hostile : vous êtes arrivés en ville.

Photographie Audrey Dupont.

Par Audrey Dupont.

mercredi 20 février 2013

La glace à l'abricot



Elle est comme un globe  posé sur un socle en gâteau-gaufrette. Sa surface est pleine de minuscules cratères et incrustée,  ici et là, de diamants scintillants. On remarque, par endroits, des copeaux. Des copeaux blancs, frangés d’écume : des petites montagnes, comme celles vues sur la lune à partir de la terre… On a envie de l’explorer lentement, délicatement, pour n’en manquer aucun recoin.

Le socle ressemble à une coupe posée sur un cône effilé. Il est couleur sable, un rien brillant, ceint d’un rebord comme un mur de citadelle, avec chemin de ronde et crénelures. On est tenté d’entrer…

On attend, on établit son plan de bataille…

Allez ! Il faut bien partir à l’attaque ! On commence par tirer un bout de langue, juste pour savoir… C’est doux et froid à la fois. C’est bon ! On avance comme pour une embuscade… On prend son courage à deux mains, on continue et on remonte un peu plus haut. On fait le tour de ronde en léchant consciencieusement… On s’enhardit, on devient plus brave, on ose  plus loin. Le globe vacille un peu. On le remet en place d’un coup de langue bien ajusté. On sent la bataille se décider en sa faveur. On croque doucement le chemin de ronde, puis vaillamment. C’est curieux, cette matière qui fond sur la langue et glisse dans la gorge pour rejoindre une grotte secrète intérieure. On ferme les yeux pour savourer le plaisir, mais il ne faut pas se laisser aller. On les ouvre à nouveau. Il est toujours là, déjà un peu vacillant et moins gaillard… On pourrait peut-être l’abattre ?

On recommence, cette fois-ci, avec ses petites dents, comme si on attaquait le mont Blanc… C’est une neige douce et sucrée que l’on a alors en bouche et c’est tout juste si l’on ne se retient pas de rejeter ce que l’on vient d’arracher à cette montagne. Cela a fait mal, on en a eu des frissons, on a même poussé un petit cri… Mais on ne peut plus s’arrêter, on est en plein combat : qui mangera ou coulera le plus vite ? Il faut y aller, se battre, lécher rapidement, aller au fond, remonter,  et même écoper comme un brave matelot.

Tout n’est pas fini… Il reste encore un bout de cette coque en perdition. Déjà, on sent qu’elle a pris l’eau et qu’elle faiblit… Il ne faut surtout pas la laisser couler par le fond, cela serait trop bête ! Malgré les fuites  multiples, on continue, on déguste toujours. C’est une course contre la montre. On ne sait plus par quel bout s’y prendre, mais il faut gagner à tous les coups, on est si près du but !

Il reste juste un pic de montagne à l’envers, mou, plein d’une crème qui ressemble à une mer dévastée. Alors, d’un grand coup, on enfourne le tout, on avale, on attend que rien ne colle plus au palais ni aux dents, et on savoure cette épopée extraordinaire…

Elle, c’est la glace à l’abricot que mon oncle Jean m’achète régulièrement chez le pâtissier quand il séjourne en vacances, chez ma grand-mère.

Par Elisabeth Lafont.