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mardi 28 mai 2013

La fontaine des pleurs




En ce temps-là le Château d’Esthieugues est entouré d’une forêt immense et profonde.

Le seigneur d’Amanzé et sa dame ont un fils d’une grande beauté. Sa peau est transparente comme un rayon de lune, ses cheveux noirs et luisants comme l’aile du corbeau, et ses yeux sombres comme la nuit. Il se nomme Arold.

Un jour qu’il chevauche sur son cheval blanc, il rencontre une jeune fille belle et resplendissante comme le soleil avec de longs cheveux d’or et des yeux couleur de ciel d’été. Égarée dans la forêt, il l’aide à retrouver son chemin et ils tombent fous d’amour l’un pour l’autre.

Très vite ont lieu les fiançailles. Florine a quinze ans. Un an plus tard leur mariage offre de somptueuses réjouissances. Au château la fête bat son plein, elle dure plusieurs jours. Mais déjà Arold s’en va guerroyer à travers le pays. Il abandonne  la belle châtelaine et les jours heureux derrière lui.

*


Comme le temps paraît long à Florine sans son aimé et comme elle se désespère ! Un jour d’été plus triste que jamais, elle décide de rencontrer les fées de la forêt et elle selle son cheval.
Elle galope longtemps, quand enfin elle les surprend au bord d’un lac en train de laver leurs bébés ! Honteuses d’être découvertes elles s’enfuient et se cachent.
Seule la plus âgée reste là. Elle demande :
–Faut-il donc que ta requête soit urgente pour oser nous déranger ? Ne sais-tu pas que nous sommes très occupées à baigner nos enfants au solstice d’été ?
–Pardonnez-moi, je l’ignorais ! Je viens vous implorer de me rendre mon aimé car ma peine est trop lourde loin de lui.
–Dans ce cas apprends que tu le retrouveras mais pour bien peu de temps !

Et là-dessus, elle disparaît dans la brume. On n’entend plus dans la forêt que le long croassement d’un corbeau. Florine est impatiente pourtant elle s’interroge sans cesse sur ce que la fée a voulu dire.

*

Un jour de printemps Arold revient enfin. Il est las de la guerre et ses yeux brillent de retrouver sa bien-aimée. Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre et pour eux commencent les journées merveilleuses d’un amour infini.
Aussi il décide de préparer de longues fêtes pour l’anniversaire de Florine. Ces festivités célèbreront leur bonheur. Pour cela il faut garnir les tables de gibier abondant.
Tous les seigneurs et les chevaliers alentour sont conviés à se retrouver dans la grande clairière « la grande cour » (devenue Cours-La-Ville dans le Rhône) avant de s’échapper au son du cor aux quatre coins des bois.
Les chevaux galopent. Piqués par leur maître ils se lancent dans une course effrénée précédés par les chiens, les piqueurs et les veneurs aux cris de :
–Taïau, taïau, taïau !

Le fils du seigneur sur son cheval fougueux lancé à toute vitesse court sur les traces d’un sanglier dans la forêt de Mardore (69), redescend vers la rivière, la Trambouze (69).
La force de l’animal, sa puissance, sa résistance l’entraînent vers le Col de la Bûche (42) et il parvient à le tuer dans les bois de Rottecorde (42).
Éreinté par sa folle course et heureux de sa prise, il se laisse choir sur les prés en pente douce de la clairière de Fontimpe au village Le Cergne (42). Le nez dans les bleuets et les marguerites, il imagine Florine, sa douce, sa mie, son épousée. Il pense à sa joie, à son regard limpide, il voit son sourire rayonnant sur ses dents éclatantes de porcelaine, il compte le nombre des invités à la fête et les longues et douces soirées d’été sous les tilleuls dans ses bras, un enfant leur naîtra de ses nuits et… il sourit.

Mais soudain une laie rendue furieuse par la mort de son mâle surgit farouche, meurtrière. Tel un fauve Arold d’Amanzé bondit sur ses deux jambes, son poignard à la main.
La bête en furie se déchaîne, se jette sur lui. L’un et l’autre dévalent le pré dans un corps à corps sans merci cherchant le point mortel. Arold enfonce le couteau dans le cœur mais déjà la bête trouve la gorge du chevalier. Elle grommelle une dernière fois triomphante.
            
Sous le ciel de Fontimpe le corps d’Arold git les yeux dans les étoiles.

*


Des heures durant ses compagnons le recherchent inlassables. Ses traces se perdent, tournent dans la forêt. Enfin au bas du pré, ils découvrent le jeune homme et la laie étendus l’un près de l’autre.
Florine éperdue apprend la nouvelle effroyable. Arold est enterré au château d’Esthieugues mais inconsolable, chaque matin, elle selle son meilleur cheval. Elle s’en va au trot sur le lieu où le seigneur d’Esthieugues, le chevalier d’Amanzé a trouvé la mort et là, elle s’abandonne à son chagrin.

On la croise souvent errante sur les chemins, livide comme une morte sous ses longs cheveux couleur de blés murs. Et ainsi chaque jour de ses larmes versées naît une source calme et douce à fleur de terre sous les pierres.
Elle remplit la fontaine où tant de fois Florine pleure son aimé. Un jour morne d’automne, elle se hisse sur son cheval. Elle arrive à Fontimpe et là épuisée elle meurt.

*
 

On retrouve son corps dans la brume, étendu sur la mousse et les feuilles éparpillées près de la source. Ses longs cheveux d’or plongés dans la fontaine projettent un éclat de soleil sur ce lieu et dans ses yeux de ciel figés par la mort brille une étoile. Souvent à la tombée du soir on peut voir deux silhouettes se parler, s’enlacer et s’étreindre.

On ne s’étonne pas au pays on sait. C’est Arold et florine qui se sont retrouvés !

Dans la clairière de Cours et au Cergne, sur la grande forêt plane toujours l’ombre furtive de leur amour éternel.

Par Dana Lang, conteur-auteur.

Écrit et raconté sur les lieux mêmes de la légende et de la source, en forêt du Cergne (42), en 1993.
Paru dans le bulletin municipal "Vivre Au Cergne" n°11, en janvier 1994 et édité en novembre 2009 dans le livre de contes : Noëls Enchantés.
A partir d'évènements et faits historiques remontant au 15ème siècle. Sources : Historique d’Esthieugues par Jules Bonnefond, Charlieu, rue de la Fromagerie 1895).