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jeudi 7 novembre 2013

Porte, ouvre-toi !



Elle était de bois lourd, sombre, avec une grosse serrure de fer. Chaque jour, l’enfant venait y poser sa main, explorant les fissures, caressant la matière. Souvent, pour qu’il rentre manger, il fallait venir le chercher. Ne pouvant ouvrir cette porte, l’enfant collectionnait les clefs.
Puis il était parti loin, pour une vie d’adulte : une femme, deux enfants, une bonne santé, un travail de cadre moyen. Il courait après le temps et vivait constamment dans une sorte de conflit, tension intérieure et muette. Dans une routine installée, les enfants grandissaient, le temps des rêves s’étiolait.
Un mardi, une lettre le surprît.
Elle provenait d’un notaire du Lot. Elle disait qu’un monsieur Arthus lui léguait des biens et qu’il était invité à se faire connaitre pour rentrer en possession de cet héritage.
Alexandre prit rendez-vous avec une secrétaire laconique à l’accent chantant, acheta un billet de train, réserva un hôtel dans une petite ville du sud-ouest.
La veille de la rencontre, il se rendit en gare d’Austerlitz, direction Gourdon. Le trajet durait cinq heures ; on traversait le Cher, l’Indre, la Creuse, la Haute-Vienne, la Corrèze, le Lot. Tout un voyage à travers la campagne française !
Il croisa Vierzon et se souvint de cette chanson de Brel que son père aimait écouter. Dépassant Châteauroux, il se raconta l’histoire d’un prince, amoureux d’une chevelure flamboyante. Maisons et champs se succédaient, le train poursuivait sa route. Argenton sur creuse lui donna envie de descendre ; La souterraine était un drôle de nom de ville. Le paysage défilait. Limoges lui parla porcelaines, bien sûr. Et il chantonna pour lui-même ces mots de Benabar : « avec tes rêves de midinette et ton cœur d’artichaut, t’es une porcelaine dans un magasin d’éléphants ». De gare en gare, il approchait. Uzerche était un morceau d’enfance ; Brive existait dans sa mémoire entre salon littéraire et rugby ; Souillac sonnait « chaleur et Dordogne ». Gourdon, son point d’arrivée, était une cité médiévale bâtie sur les hauteurs.
Descendant, un peu groggy, il rejoignit l’hôtel. Lorsque la charmante hôtesse d’accueil lui tendit la carte magnétique de sa chambre, il eut un pincement de cœur. Sa main aurait voulu tenir, sentir, le métal d’une clef.
Toute la nuit, accompagné par le hululement d’une chouette, il chercha dans sa mémoire des traces de ce monsieur Arthus qui lui léguait ce mystère. Il conclut qu’il devait s’agir d’une erreur.

Un peu avant dix heures, le lendemain, Alexandre traversa les saveurs colorées d’un marché et pénétra dans une grande bâtisse sans colombages. Il attendit quelques minutes dans le cliquetis d’un clavier d’ordinateur.
Le notaire était un bon vivant. Il le pria de s’asseoir dans un fauteuil confortable et lui offrit un verre de jus de pomme. Il lui raconta qu’un vieux monsieur sans descendance venait de mourir et que cet homme avait choisi de lui donner ses biens : une maison à Uzerche. « Mais je ne connais pas de monsieur Arthus ! » murmura Alexandre, autant pour lui-même que pour le notaire. « Peut-être l’avez-vous rencontré sans le savoir » répondit ce dernier avec le sourire de celui qui fait une bonne blague. « Vous avez bien vécu là-bas, n’est-ce pas ? ». Devant le silence d’Alexandre, il rajouta : « monsieur Arthus était un ami. Je peux vous assurer qu’il avait une raison de vous léguer tout ceci. Mais je ne peux vous en dire plus, je lui ai promis. La maison devrait vous aider à comprendre. Voici les clefs. Et les papiers qui font de vous le propriétaire. Signez ici, et là, voulez-vous ? »
Alexandre, sonné, signa ce qu’on lui demandait.
Certains se seraient précipités à la découverte de cette maison tombée du ciel, lui rentra à Paris.
Ses enfants ne comprirent pas cette réserve. Enthousiastes, ils échafaudèrent hypothèse sur hypothèse.
Alexandre reprit le train quelques jours plus tard. Toujours abasourdi, il retrouvait un paysage d’enfance et secouait la poussière accumulée dans sa mémoire.
La maison comptait deux étages et huit fenêtres sur sa façade principale.  En tremblant, il ouvrit la porte et constata que la maison n’avait pas été vidée, à l’exception de quelques meubles ici ou là. Ce M. Arthus lui avait tout donné. Il traversa rapidement le rez-de-chaussée et se retrouva dans le jardin : un parc arboré qu’il arpenta fébrilement. Dans un morceau de mur assailli d’herbes folles, il rencontra une porte en bois sombre, lourd, avec une grosse serrure de fer. Alexandre posa une main, explora les fissures, caressa la matière… et pleura. Dans son autre main, il tenait la clef de cette porte qui l’avait fasciné tant d’années.
Il se mît à explorer les  étages et s’arrêta perplexe dans une grande pièce pleine de livres.  Perplexe et joyeux. Il se sentait comme un gamin découvrant un trésor ! Le palais de M. Arthus le garda longtemps entre ses murs.
Plusieurs mois passèrent. Alexandre ne se décidait pas à vendre. Les enfants pensaient avoir gagné une maison de vacances où faire la fête. Sa femme le laissait choisir : ce bien était à lui.
De nombreux week-ends, il tria, rangea, nettoya, lut.
Un matin, il démissionna de son poste d’adjoint du responsable achats.
Sur le mur de la maison d’Uzerche s’accrochait désormais une enseigne :
Porte, ouvre-toi !
Librairie.

Par Norlane Deliz.
Texte paru dans la revue Etoiles d'encre n°53-54, "Nos maisons", mars 2013, éditions Le chèvrefeuille étoilée.

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